Le tribunal revient sur les décisions qui ont marqué sa jurisprudence en 2018
L’activité contentieuse du tribunal a été riche en 2018, ainsi qu’en témoigne la sélection suivante des décisions rendues par la juridiction
COLLECTIVITÉS LOCALES
Limitation des dépenses réelles de fonctionnement du département de l’Hérault
Le juge des référés du tribunal a rejeté le recours présenté par le département de l’Hérault tendant à la suspension de l’arrêté du 5 octobre 2018 par lequel le préfet de l’Hérault lui avait notifié le niveau maximal annuel de ses dépenses réelles de fonctionnement sur les trois exercices budgétaires de 2018 à 2020. Cet arrêté était intervenu en application du VI de l’article 29 de la loi du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2020, à défaut de conclusion d’un contrat entre l’Etat et le département de l’Hérault, prévu pour l’ensemble des départements afin de consolider leur capacité d’autofinancement et d’organiser leur contribution à la réduction des dépenses publiques et du déficit public.
Le département de l’Hérault se prévalait, notamment, de ce que l’arrêté contesté se fonderait sur des données nationales erronées d’évolution de la population et des dépenses réelles de fonctionnement de l’ensemble des départements, de ce qu’il serait constitutif d’une sanction déguisée de l’absence de contractualisation avec l’Etat et de ce qu’il serait entaché d’une erreur manifeste d’appréciation dès lors que d’autres départements, dont la situation est comparable d’un point de vue démographique, se seraient vu fixer un taux d’évolution de leur niveau maximal annuel des dépenses réelles de fonctionnement plus élevé que le sien.
Le juge des référés a estimé que ces moyens ne paraissaient pas, en l’état de l’instruction, propres à créer un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté du 5 octobre 2018.
Cliquez ici pour consulter l’ordonnance du 18 décembre 2018 n° 1805903
FISCAL
Assujettissement des indemnités de député du Parlement européen aux contributions et prélèvements sociaux affectés au financement du régime de sécurité sociale d’un Etat membre
Le tribunal a estimé que les règlements européens relatifs à la coordination en matière de sécurité sociale, consacrant le principe de l’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale et prohibant l’obligation de contribuer à différents régimes en matière de sécurité sociale, ne s’appliquaient pas aux députés du Parlement européen.
Conf. CJUE, 26 février 2015, Ministre de l’économie et des finances contre Gérard de Ruyter, aff. C-623/13 ; CE, 27 juillet 2015, Ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l’Etat c/ M. de Ruyter, n° 334551 342944.
Rappr., pour les fonctionnaires de l’Union européenne, CJCE, 3 octobre 2000, Ferlini, aff. C-411/98.
Il a également considéré que les dispositions applicables aux députés du Parlement européen ne remplissaient pas une fonction analogue à celle des règlements européens relatifs à la coordination en matière de sécurité sociale, à défaut notamment d’attribution aux institutions de l’Union européenne de compétence pour fixer un régime de sécurité sociale au profit des députés du Parlement européen.
Le tribunal en a déduit que les Etats membres conservaient la faculté de soumettre l’indemnité des députés européens aux dispositions du droit fiscal national à la condition que toute double imposition soit évitée, condition qui a été estimée, en l’espèce, respectée.
Comp., pour les fonctionnaires de l’Union européenne, CJUE, 10 mai 2017, M. Wenceslas de Lobkowicz contre Ministre des finances et des comptes publics, aff. C-690/15.
Conf. sol. contr. TA Besançon, 1er décembre 2017, Mme Montel, n° 1600321.
Cliquez ici pour consulter le jugement du 16 avril 2018 n° 1701090
Assujettissement à la taxe foncière sur les propriétés bâties d’un immeuble exploité par un groupement de coopération sanitaire de moyens destiné à accueillir une plateforme médicale et logistique
Saisi d’un jugement du tribunal, le Conseil d’Etat a estimé qu’un immeuble exploité par un groupement de coopération sanitaire de moyens destiné à accueillir une plateforme médicale et logistique devait être en l’espèce regardé comme affecté à la réalisation de prestations concourant à l’exécution du service public hospitalier dont l’établissement public de santé cocontractant était chargé.
Il en a déduit, contrairement au tribunal, qui avait jugé que l’immeuble en cause n’était pas affecté à un service public ou d’utilité générale, que celui-ci remplissait l’ensemble des conditions, prévues par le 1° bis de l’article 1382 du code général des impôts, pour bénéficier de l’exonération permanente de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les immeubles construits dans le cadre de contrats visés au premier alinéa de l’article L. 6148-5 du code de la santé publique, donnés sans contrepartie financière à bail emphytéotique administratif par un établissement public de santé et incorporés, à l’expiration du contrat, au domaine de cet établissement conformément aux clauses de ce contrat.
Cliquez ici pour consulter la décision du Conseil d’Etat du 27 mars 2019 n° 422428, 428357
Cliquez ici pour consulter le jugement du 11 juin 2018 n° 1702485-1800489
Assujettissement à la taxe d’apprentissage d’une société exploitant un parc zoologique
Pour estimer qu’une société exploitant un parc zoologique devait être exonérée de taxe d’apprentissage, le tribunal a fait application, d’une part, de la doctrine fiscale, qui prévoyait une tolérance administrative à l’égard des rémunérations versées par les employeurs agricoles, d’autre part, de la jurisprudence du Conseil d’Etat, selon laquelle un parc zoologique devait, compte tenu de la nature de son activité, être regardé comme se livrant à une activité agricole d’élevage au sens du code rural, et exercer par suite une profession relevant du régime agricole.
Cf. CE, 26 juin 2017, SA Réserve africaine de Sigean, 391388, T. p. 589.
Le tribunal a également jugé que l’exonération s’appliquait à l’ensemble des salaires versés par la société exploitant un parc zoologique, dont l’activité dominante est agricole, y compris ceux qui concernent les salariés affectés en tout ou partie à l’activité commerciale de restauration et de boutique du parc.
Cliquez ici pour consulter le jugement du 28 décembre 2018 n° 1701424
FONCTION PUBLIQUE
Discrimination en raison du handicap
Le tribunal a considéré qu’une décision de faire perdre le bénéfice d’un concours interne en raison de deux refus de propositions d’affectation était empreinte de discrimination en raison du handicap, dès lors que ces propositions concernaient des postes inadaptés au handicap du candidat, compte tenu de leur éloignement géographique, alors que des postes vacants, adaptés à ce handicap, avaient été réservés à des candidats moins bien classés.
Rappr. CE, 14 novembre 2008, Fédération des syndicats généraux de l’éducation nationale et de la recherche publique, n° 311312.
Pour vérifier la réalité de la discrimination, le tribunal a fait application du régime prétorien de preuve objective défini dans le cadre de la jurisprudence Perreux, en prenant en compte, dans le cadre de l’examen du premier temps de la dialectique de la preuve, relatif aux faits susceptibles de faire présumer l’existence d’une discrimination, les observations du Défenseur des droits formées dans cette affaire.
Cf. CE, Assemblée, 30 octobre 2009, Mme Perreux, n° 298348, p. 407.
Cliquez ici pour consulter le jugement du 16 février 2018 n° 1600328
Possibilité de cumuler l’indemnité de départ volontaire de la fonction publique territoriale et l’allocation d’aide au retour à l’emploi
Le tribunal a validé la possibilité de cumul, au sens de l’article 7 du décret n° 2009-1594 du 18 décembre 2009, entre l’indemnité de départ volontaire de la fonction publique territoriale et l’allocation d’aide au retour à l’emploi, la première étant versée en contrepartie du départ définitif de la fonction publique territoriale, la seconde ayant un caractère de revenu de remplacement.
Rappr., pour le cumul du revenu minimum d’insertion et de l’aide au retour à l’emploi, CE, 3 octobre 2016, Département du Tarn, n° 390796.
Cliquez ici pour consulter le jugement du 16 février 2018 n° 1600821-1602833
MARCHÉS ET CONTRATS
Coexistence du recours pour excès de pouvoir contre un acte unilatéral et du recours de pleine juridiction contre la validité d’un contrat
Pour rejeter les conclusions dirigées contre une convention par laquelle une Métropole attribuait une subvention à une association devant ensuite organiser des marchés aux fins de déterminer et de désigner les sociétés devant bénéficier d’achats de prestations de marketing, le tribunal a fait application de la jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne en estimant que la société requérante n’établissait pas qu’une telle convention léserait ses intérêts de façon directe et certaine.
Cf. CE, Assemblée, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994, p. 70.
Dans ces conditions particulières, le tribunal a estimé que la délibération portant attribution de la subvention, bien qu’ayant fait l’objet d’une convention exigée afin de déterminer l’objet, le montant, ainsi que les modalités d’utilisation et de contrôle de cette subvention, avait conservé par nature un caractère unilatéral. Les conclusions dirigées contre cette délibération ont toutefois été jugées irrecevables en raison de leur tardiveté car présentées plus de deux mois suivant sa publication.
Comp. TA Pau, 29 décembre 2015, n° 1500281 ; TA Lyon, 28 juin 2018, n° 1606971.
Cliquez ici pour consulter le jugement du 3 décembre 2018 n° 1700454
POLICE
Fermeture administrative d’un camping
Le juge des référés du tribunal a suspendu l’exécution d’un arrêté préfectoral de fermeture administrative d’un camping, motivé, d’une part, par la constatation que l’ancien exploitant de l’établissement n’avait pas exécuté une condamnation pénale consistant en l’enlèvement de plusieurs résidences mobiles de loisirs implantées sur la bande littorale des cent mètres, d’autre part, par la considération que l’établissement n’était pas conforme à l’arrêté du 9 septembre 2014 relatif à la réglementation portant sur la sécurité des terrains de camping et ne répondait pas à de « nombreuses normes législatives et règlementaires en matière de sécurité incendie ».
Le juge des référés, saisi par le nouvel exploitant de l’établissement, a retenu comme étant propre à créer un doute sérieux le moyen tiré de ce que le préfet ne pouvait pas procéder à la fermeture administrative du camping pour assurer l’exécution de la décision du juge pénal, dès lors qu’il disposait d’une autre voie de droit.
Il a également retenu le moyen tiré de l’insuffisante motivation formelle de l’autre motif de l’arrêté contesté, concernant des manquements aux règles de sécurité dont la nature n’était pas précisée.
Cliquez ici pour consulter l’ordonnance du 13 mars 2018 n° 1800687
Engagement de la responsabilité sans faute de l’Etat du fait de l’intervention des forces de l’ordre lors d’affrontements avec des supporters aux abords d’un stade et de l’usage de « flash ball superpro »
Saisi d’une action en responsabilité contre l’Etat par une personne ayant subi la perte d’un œil provoquée par l’impact d’un projectile de type « flash ball » tiré par les forces de l’ordre lors d’affrontements avec des supporters aux abords d’un stade, le tribunal a jugé que le dommage subi par la victime, qui résultait directement des mesures prises par l’autorité publique pour le rétablissement de l’ordre à l’occasion d’un rassemblement spontané de supporters faisant barrage aux policiers, présentait le caractère d’un dommage visé à l’article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.
Cf. CE, 23 février 1968, Epoux Lemarchand et autres, n° 72416, p. 134 ; CE, 30 décembre 2016, Société Covea Risks, n° 386536.
Le tribunal a relevé, au cas d’espèce, que si le requérant faisait l’objet d’une condamnation à une peine d’interdiction de pénétrer dans une ou plusieurs enceintes où se déroulait une manifestation sportive, il ne se trouvait pas dans l’enceinte du stade et ainsi ne méconnaissait pas cette peine. En l’absence de tout élément permettant d’établir que le requérant n’aurait pas déféré à une injonction des services de police lui donnant l’ordre de quitter les lieux et en l’absence de précision notamment sur le laps de temps s’étant écoulé entre le début des échauffourées et le tir de « flash ball », le tribunal en a déduit que le maintien sur les lieux de l’intéressé ne pouvait être regardé comme constitutif d’une faute de la victime susceptible d’exonérer l’Etat de tout ou partie de sa responsabilité.
En retenant ce régime légal de responsabilité sans faute, le tribunal a implicitement jugé que l’usage de « flash ball superpro » ne relevait pas du régime spécifique de responsabilité sans faute fondé sur le risque dans le cas où le personnel de la police fait usage d’armes ou engins comportant des risques exceptionnels pour les personnes et les biens.
Cf. CE, Assemblée, 24 juin 1949, Consorts Lecomte, n° 87335, p. 307.
Comp. CAA Nantes, 5 juillet 2018, Ministre de l’Intérieur, n° 17NT00411, pour un lanceur de balles de défense de type « LBD 40×46 mm ».
Cliquez ici pour consulter le jugement du 16 octobre 2018 n° 1704250
PROCÉDURE
Appréciation de la condition d’urgence dans le cadre d’un référé suspension
Le juge des référés du tribunal a estimé que la condition d’urgence n’était pas remplie dans le cadre d’un référé tendant à la suspension d’une décision du président de l’Université Paul-Valéry Montpellier III définissant, dans le contexte de blocage de cette université, de nouvelles modalités de contrôle des connaissances des étudiants, prévoyant notamment que certains examens puissent se dérouler à distance, le sujet étant envoyé aux étudiants par courriel et les copies devant être déposées sur un site internet. Il a notamment relevé que la délivrance des diplômes nationaux ou des diplômes d’établissement sanctionnant les connaissances, les compétences ou les éléments de qualification professionnelle acquis, figurait parmi les missions de l’université. Il en a déduit que l’intérêt public qui s’attache à l’accomplissement de ces missions commandait que les contrôles des connaissances préalables à l’obtention des diplômes délivrés par l’université soient organisés, faisant ainsi obstacle à la suspension de la décision contestée.
Cliquez ici pour consulter l’ordonnance du 18 avril 2018 n° 1801653
URBANISME
Annulation partielle d’un permis d’aménager
Le tribunal a en partie annulé un permis d’aménager délivré en vue de la réalisation d’un lotissement multi-activités à vocation d’activités commerciales et de services, en tant qu’il était dépourvu de prescriptions spéciales permettant de préserver la zone principale de chasse d’espèces de chiroptères et en tant que le règlement du lotissement autorisait les constructions à usage de logement en méconnaissance des dispositions du règlement du plan d’occupation des sols de la commune.
Il a estimé que le permis d’aménager portait une atteinte excessive au territoire de chasse d’espèces protégées de chiroptères et qu’il aurait dû être assorti de prescriptions pour limiter les effets de cette atteinte. Il a relevé en particulier que la zone principale de chasse d’espèces de chiroptères à enjeux patrimonial fort ou très fort était située pour moitié dans le périmètre du lotissement et que les mesures retenues par l’étude d’impact, essentiellement portées sur l’habitat ou le transit de ces mammifères, sont inexistantes quant à la compensation de la perte de ce territoire.
Le tribunal a également considéré que le règlement du lotissement méconnaissait la réglementation du secteur classé en zone naturelle et agricole par le plan d’occupation des sols en ce qu’il autorisait les constructions à usage d’habitation.
Le tribunal a fait application de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme en n’annulant le permis d’aménager qu’en tant qu’il contenait les abstentions et dispositions illégales, dès lors que des modifications pouvaient légalement être apportées à ce permis pour préserver la zone principale de chasse des chiroptères et pour aboutir à l’abandon de la réglementation illégale autorisant les logements.
Cliquez ici pour consulter les deux jugements du 15 février 2018
Refus de permis de construire deux parcs éoliens
Le tribunal a rejeté les recours dirigés contre deux arrêtés par lesquels le préfet de l’Hérault avait refusé de délivrer un permis de construire deux parcs éoliens de cinq éoliennes et de quatre aérogénérateurs.
Il a considéré que le préfet avait pu légalement fonder ses refus sur l’article L. 122-9 du code de l’urbanisme, qui prévoit que « Les documents et décisions relatifs à l’occupation des sols comportent les dispositions propres à préserver les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard ».
Le tribunal, qui a souligné notamment que 71 aérogénérateurs ont été autorisés dans le secteur depuis 2006, a à ce titre pris en compte les impacts cumulés de l’ensemble des éoliennes implantées au sein du domaine vital du couple d’aigles royaux, impliquant une multiplication des risques de collision.
Il a ainsi relevé que les zones d’implantation des deux projets étaient incluses dans le territoire de chasse de l’aigle royal et faisaient donc partie intégrante de son domaine vital, ainsi que de celui de l’aigle de Bonelli, qui est une espèce en danger faisant l’objet d’une protection maximale. Il a en outre considéré que les projets portaient une atteinte effective à plusieurs espèces de chauve-souris, avec un risque avéré de mortalité.
Il a enfin retenu que les deux projets seraient visibles depuis le site classé du Salagou et la vallée de l’Orb et visibles simultanément avec la chapelle Saint-Amans, inscrite à l’inventaire des monuments historiques.
Le tribunal a en conséquence estimé que les arrêtés de refus contestés n’étaient pas entachés d’erreurs dans l’appréciation des atteintes cumulées susceptibles d’être portées par les projets en cause aux paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel, en dépit des mesures compensatrices envisagées.
Pour une telle interprétation des dispositions appliquées Cf. CAA Lyon, 30 septembre 2014, Société Un coup de vent, n°12LY24437.
Cliquez ici pour consulter les deux jugements du 5 avril 2018